Dans ce nouvel article, nous allons nous concentrer sur la question de l’expatriation. Ma pratique clinique à distance m’a permis de rencontrer de nombreux expatriés et de m’intéresser au processus de l’expatriation, aux vertus du voyage et aussi à ses problématiques. La téléconsultation a véritablement révolutionné la psychothérapie. Nous avons la possibilité de prendre contact avec des patients à l’autre bout du monde. Toutefois, l’expatrié qui souhaite débuter une psychothérapie se retrouve confronté à plusieurs barrières. Il reste difficile de trouver un psychologue francophone, accessible géographiquement et qui correspondait à nos attentes. Le parcours de soin est complexe pour les ressortissants français. De plus, l’expatriation représente un phénomène récent. Les ressources et les problématiques liées à ce phénomène sont encore méconnues malgré son intérêt croissant. L’objectif de cet article est de vous offrir quelques clés afin de comprendre ce que l’expatriation mobilise chez l’individu.
Expatriation :
Nous retiendrons l’ensemble des individus qui ont effectué un déplacement volontaire. En effet, certains paramètres sont communs aux migrations choisies et subies. Toutefois, elle ne mobilise pas le voyageur de la même manière. Nous allons donc nous concentrer sur les expatriés qui ont décidé leur déplacement. Le terme expatrié nous vient du grec, exo signifie en dehors et patrida, le pays.
Ces expatriations sont souvent liées à des opportunités professionnelles, une envie de changement ou d’amélioration des conditions de vie. Elle concerne aussi les mouvements universitaires. Chaque année, de nombreux étudiants français partent un semestre ou plus pour leur étude. L’expatrié est donc l’individu qui réside dans un pays différent du sien. Les causes de déplacements que nous avons évoquées représentent les motifs manifestes. Nous voulons dire par là, les raisons conscientes évoquées par le voyageur, lorsqu’il décrit à son entourage son désir d’aventure. Toutefois, il existe très souvent des motifs latents, sous-jacents qui expliquent l’envie d’expatriation du voyageur. Nous faisons référence ici à des motifs inconscients qui se sont additionnés aux autres raisons évoquées. Il peut s’agir d’une tentative de se séparer de sa cellule familiale, reproduire une histoire familiale migratoire déjà vécue par les générations précédentes ou encore un événement traumatique dont nous cherchons à nous débarrasser.
Au-delà du déplacement, l’expatrié vit un voyage aussi physique que mental. Les différentes étapes de l’expatriation donnent lieu à un questionnement interne et une visualisation des changements liés à cette nouvelle situation. Nous retiendrons trois phases charnières dans l’expatriation : la préparation au départ, l’installation dans le pays et le retour au pays natal.
Identité et remaniement :
Très souvent, les premiers temps de l’expatriation procurent un émerveillement considérable. L’individu découvre et apprend de nouvelles choses tous les jours. Cette nouvelle vie est vécue avec fascination. Petit à petit, la routine s’installe. La nouveauté doit laisser sa place à l’adaptation. Toutefois, ce passage peut être coûteux pour l’individu. En effet, il replace au centre du débat la question de l’identité. Qui suis-je ? Quelles sont les normes et les valeurs que je peux utiliser dans ce nouveau contexte ? Un sentiment d’étrangeté peut parfois apparaître et provoquer un vécu inconfortable. L’adaptation à un nouveau milieu nécessite une réorganisation mentale qui peut prendre du temps. L’expatrié peut avoir un grand nombre de remises en question. Il peut se demander comment utiliser ses ressources et l’ensemble de ses apprentissages dans cette nouvelle société. Chaque société possède une culture, des codes sociaux, des normes et des valeurs qui lui sont propres. L’expatriation est un véritable processus de transformation où il va être question d’apprendre de nouveaux codes sociaux et mettre à jour ceux que nous avons déjà acquis par le passé. L’expatrié va devoir trouver un équilibre nouveau. Ce remaniement est une source de créativité importante pour l’individu. L’ajustement entre la découverte et l’adaptation peut par moment nécessiter un suivi psychologique afin d’aider l’expatrié à mettre en place ses ressources. L’objectif de la psychothérapie est de permettre au voyageur à activer le processus de transformation. En effet, l’expatriation est une opportunité pour l’individu de se réinventer. Néanmoins, il va devoir parfois affronter quelques conflits internes afin de trouver le bon équilibre entre sa culture d’origine et celle du pays d’accueil.
La séparation :
D’autre part, la séparation du groupe familial et des proches provoqués par l’expatriation. Le départ n’est pas toujours compris par l’environnement. D’autres fois, la décision est partagée par l’entourage, mais l’expatrié éprouve une tension entre culpabilité et excitation. La séparation est un moment difficile qui s’atténue dans la phase de découverte du nouveau cadre de vie de l’expatrié. Mais lorsque l’excitation des débuts s’atténue, un sentiment de solitude peut apparaître. Elle est en lien avec le vécu d’étrangeté du voyageur au moment de sa remise en question. L’isolement est un sujet tabou chez les expatriés. En effet, il va être difficile de se confier à son entourage. Le retrait se mélange à la culpabilité ressentie par le voyageur. Face à sa réussite sociale et professionnelle, il va être complexe d’exprimer son vécu de solitude. Le voyageur peut se retrouver en incapacité d’en parler avec les personnes rencontrées dans le pays d’accueil. En effet, il souhaite s’intégrer et réduire sa sensation d’être étranger aux autres. D’autre part, il aura autant de difficultés à en parler à ses proches restés au pays. Il désire souvent garder une image positive et ne pas entrer en opposition avec le discours familial. L’expatrié peut mettre beaucoup de temps à parler de son mal-être à son entourage. La solitude et la culpabilité du voyageur ravivent les angoisses de séparation. Certaines questions peuvent alors tirailler l’individu. En effet, plus le groupe familial vient remettre en question inconsciemment l’expatriation, plus l’individu s’interrogera. Les thèmes autour du décès et des maladies des proches reviennent fréquemment. « Et si je n’arrive pas à être là au moment où mes proches auront besoin de moi ? » La culpabilité, les tiraillements et la solitude provoquée par la séparation du groupe familial sont néfastes sur le plan psychologique. Un suivi psychologique peut permettre un apaisement des conflits internes. L’espace thérapeutique va alors créer un pont entre les deux cultures. Ce pont va alors réduire le sentiment de solitude. Lorsque les contradictions, les tiraillements sont oppressants, un suivi avec un psychothérapeute peut devenir nécessaire.
Pour conclure, nous pouvons dire que l’expatriation est une expérience extraordinaire. Elle procure des vécus contradictoires entre la fascination et la désillusion. Le choc culturel et les capacités d’adaptation requis par le voyage sont une véritable opportunité de transformation et d’élaboration pour l’expatrié. Toutefois, l’accès à la créativité est coûteux. Elle nécessite de dépasser la bidimensionnalité (le mal et le bien, l’idéal et la désillusion). Il va falloir que l’expatrié accepte et conscientise son ambivalence.
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